L’insuffisance cardiaque est définie comme l’incapacité du cœur à fournir un débit suffisant pour couvrir les besoins de l’organisme au repos ou à l’effort. Elle résulte d’anomalies de la contraction ou du remplissage du ventricule gauche, mais aussi de nombreuses interactions neuro-hormonales impliquant notamment le rein et les glandes surrénales.
Elle concerne un million de personnes en France, en augmentation constante, et c’est l’une des principales causes d’hospitalisation. Son incidence augmente avec l’âge. Elle concerne près d’une personne sur 4 après 85 ans.
Elle se traduit par un essoufflement, des œdèmes des membres inférieur, une prise de poids et une fatigabilité.
Parmi ses causes : l’infarctus, l’hypertension, une atteinte valvulaire et les atteintes du muscle cardiaque (cardiomyopathie hypertrophique avec parois épaissies et contractilité normale ou cardiomyopathie dilatée avec diminution de la contractilité).
Elle évolue par poussées, nécessitant des hospitalisations, déclenchées par des événements médicaux (poussée hypertensive, passage en arythmie, insuffisance coronarienne, infection pulmonaire…) ou non-médicaux (apports excessif en sel et en boissons, prise irrégulière du traitement ou automédication par anti-inflammatoire…).
La présentation s’appuie sur une lettre médicale d’une malade fictive rédigée selon les préconisations actuelles, permettant de montrer les progrès réalisés depuis 1978. Ils concernent surtout les traitement et l’éducation thérapeutique.
Voici donc l’histoire de Mme Y
Elle est résumée dans sa lettre de sortie. Dans cette lettre les gestes médicaux et les traitements ont été mis en gras.
Mme… 62 ans, a été hospitalisée du 2 au 10 septembre pour une décompensation cardiaque, favorisée par un passage en fibrillation auriculaire sur une cardiomyopathie dilatée avec à l’échographie une fraction d’éjection à 20% (normale supérieure à 55-60) avec une pression artérielle pulmonaire estimée à 44 mm Hg (la normale est à 25-30). Le BNP d’entrée était à 850 (c’est le peptide natriurétique), il doit être inférieur à 100).
Le bilan étiologique sera complété par une coronarographie.
Elle quitte le service avec un traitement par Furosémide, Xarelto, Ramipril, Bisoprolol et Spironolactone.
Elle a reçu les recommandations suivantes : limitation des apports hydriques à 1,5 litre et des apports sodés à 6 g par jour, surveillance du poids 3 fois par semaine (68 kg à la sortie). Elle sera revue pour des ateliers d’éducation thérapeutique.
Une consultation est prévue dans un mois pour discuter de la mise sous Amiodraone.
Selon l’évolution, il conviendra de se poser la question d’un choc électrique pour tenter de régulariser l’arythmie auriculaire, voire de l’éventuelle implantation d’un défibrillateur, de la mise en place d’une assistance ventriculaire ou la réalisation d’une transplantation cardiaque.
Quelle aurait été la prise en charge de Mme Y en 1978 ?
En reprenant la lettre précédente, voici ce qui se serait passé en 1978.
Il n’y aurait pas eu de dosage du BNP.
Le diagnostic à l’échographie aurait été moins précis : uniquement échographie dite « TM » et pas de doppler pour évaluer finement le fonctionnement valvulaire et les pressions, en particulier dans l’artère pulmonaire.
Le traitement médicamenteux aurait été limité à un diurétique et un dérivé de la trinitrine.
Le traitement anticoagulant aurait fait appel au Préviscan.
De quels progrès Mme Y a-t’elle bénéficié?
Les progrès dans la compréhension de la maladie
Ils concernent le rôle de différents systèmes hormonaux et expliquent les progrès thérapeutiques (voir paragraphe ci dessous) :
- le système rénine-angiotensine-aldostérone qui implique notamment le rein et les glandes surrénales, à l’origine des traitements par les Inhibiteurs de l’Enzyme de Conversion (IEC, dont le nom se termine en « pril »), par les sartans et les anti-aldostérone,
- le système sympathique avec l’adrénaline et les autres hormones de la même famille secrétés par les glandes surrénales, ayant conduit à l’utilisation des béta-bloquants (produits dont le nom se termine en « olol »),
- le BNP, qui est secrété en cas d’insuffisance cardiaque, a un effet diurétique et vasodilatateur et diminue l’activité du système rénine-angiotensine-aldostérone avec des conséquences sur le diagnostic (son dosage et celui du NT-proBNP) et aussi le traitement avec le Sacubitril qui empêche sa dégradation trop rapide et améliore ainsi le fonctionnement cardiaque.
Les progrès diagnostiques
Deux examens essentiels sont apparus depuis 1978.
- Le BNP : découvert en 1981, il est possible de le doser en 1999. S’il est normal (inférieur à 100), cela élimine une insuffisance cardiaque. Élevé (supérieur à 400), il permet de la confirmer. Son taux diminue lorsque l’état clinique s’améliore. On utilise aussi le ProBNP avec des normes différentes et qui varient avec l’âge. Il
- L’échographie bidimensionnelle couplée au doppler qui permet de préciser la cause et le mécanisme de l’insuffisance cardiaque (voir dans l’article sur l’infarctus).
Les médicaments
Les diurétiques sont un traitement symptomatique déjà utilisés en 1978 : ils traitent l’œdème, mais ne modifient pas le cours de la maladie. Les béta-bloquants et la spironolactone existaient déjà en 1978, mais n’étaient pas utilisés dans l’insuffisance cardiaque.
Voici les produits qui ont amélioré le pronostic de la maladie depuis les années 1980.
- Les Inhibiteurs de l’Enzyme de Conversion : suite à l’étude Consensus avec l’Enalapril (1987).
- Les béta-bloquants : suite à l’étude MDC avec le Métoprolol (1993), puis le Carvédilol, le Bisoprolol…
- Les anti-aldostérone : Spironolactone après l’étude Rales (1995) et Éplérenone après l’étude Ephesus (2003).
- Les Sartans : étude Elite avec le Losartan (1997), puis Candésartan, Valsartan.
- Sacubitril associé au Valsartan (Entresto) : étude Paradigm-HF (2016).
En 1978, le traitement anticoagulant aurait été du Préviscan qui présente des interactions avec des médicaments et l’alimentation et demande des contrôles réguliers de la coagulation. Des examens qui ne sont pas nécessaires avec les nouveaux anticoagulants qui sont sont apparus depuis (Pradaxa, 2008, Xarelto 2008 et Eliquis, 2014), mais pour qui il faut surveiller le fonctionnement rénal.
L’éducation thérapeutique
Elle été mise en place à Saint-Dié en 2002 auprès des personnes en insuffisance cardiaque et, comme le traitement médicamenteux, elle améliore l’état fonctionnel et le pronostic des insuffisants cardiaques et diminue le nombre des hospitalisations.
Les personnes apprennent :
- à connaître leur maladie (symptômes, causes, facteurs de décompensation…),
- leurs traitements (en particulier les médicaments),
- à modifier leur alimentation avec
- une réduction des apports hydriques à 1,5 litre par jour, voire moins,
- une baisse du sel à 6 grammes par jour, ce qui au début passe notamment par la lecture attentive des étiquettes, mais aussi par des moyens de substitution du sel avec des épices, des herbes aromatiques ou encore du jus de citron,
- et à adapter leur activité physique, qui ne doit surtout pas être arrêtée.
Autres progrès
- Le stimulateur triple chambre (Serge Cazeau, Rennes, 1993) permet aux deux ventricules de se contracter ensemble alors qu’ils ont désynchronisés chez certains malades insuffisants cardiaques (voir aussi dans un précédent article : https://coeuretsante.deodatie.fr/2020/05/22/40-ans-de-progres-en-cardiologie-chapitre-3-maladies-des-valves-hypertension-arterielle-et-stimulateur/),
- Le défibrillateur implantable (Michel Mirowski, USA, 1980), éventuellement associé au précédent, est utilisé pour traiter les troubles du rythmes ventriculaires et éviter un arrêt cardiaque par fibrillation ventriculaire,
- L’assistance circulatoire et le cœur artificiel dans les situations les plus sévères.
L’évolution de la prise en charge de l’insuffisance cardiaque entre 1978 et nos jours
La prise en charge a été améliorée grâce à
- un meilleur diagnostic (BNP, échographie),
- de nouveaux traitements (médicaments, stimulateur triple chambre, défibrillateur),
- le ré-entrainement à l’effort,
- l’éducation thérapeutique.